17
— Lara ?
Keir s’avança vers moi d’un pas chancelant, le visage troublé, comme s’il hésitait à croire le témoignage de ses yeux.
— Lara ? répéta-t-il d’une voix brisée. C’est bien toi ?
Je crus que mes jambes allaient me trahir. Puis il me sembla que mon cœur allait exploser de joie. Avec un cri de stupeur et de soulagement mêlés, je me précipitai vers lui. Ses bras s’ouvrirent pour m’accueillir. Je m’engouffrai dans son étreinte en sanglotant de bonheur. Peu m’importait par quel miracle une telle chose était possible. Keir était là, solide, vivant et chaud contre moi.
Mes doigts se nouèrent derrière sa nuque. Debout sur la pointe des pieds, je couvris son visage de baisers. Soudain, les forces de Keir parurent l’abandonner et il glissa à genoux sur le sol. Je l’imitai sans opposer de résistance. En un geste protecteur, il referma les deux pans de sa cape autour de nos corps serrés l’un contre l’autre, nous soustrayant aux regards de l’assistance médusée.
— J’ai vu… bredouillai-je en suivant ses traits du bout des doigts. Je t’ai vu…
— C’est Keekaï, expliqua-t-il, les yeux plongés dans les miens. C’est Keekaï que tu as vue mourir au combat, pas moi.
Réduite au silence, je secouai la tête en le dévisageant longuement, tandis que s’imposaient à moi les implications de ce qu’il venait de me révéler.
— Alors… alors c’est elle ? bredouillai-je enfin. C’est elle… son fantôme, et non le tien, qui m’a protégée ?
Les traits tirés, les yeux emplis de souffrance, Keir acquiesça d’un bref hochement de tête.
— Tu es vivant, murmurai-je. J’étais sûre que…
Secouée par de nouveaux sanglots, je posai la joue contre son épaule. Un doute subsistait en moi. J’avais encore un peu de mal à croire que je ne rêvais pas. Pourtant, c’était bien son odeur que je percevais, cette senteur épicée si particulière qui m’évoquait les…
Un éclat de rire nerveux se mêla à mes sanglots. Surpris, Keir me repoussa et me dévisagea avec inquiétude, sourcils froncés.
— Ô mon amour… dis-je entre deux hoquets. Ô flamme de mon cœur, si tu savais…
Keir essuya mes larmes avec ses pouces et m’embrassa passionnément. Le sel de mes larmes mêlé au goût de ses baisers acheva de me convaincre. C’était réel ! C’était bien réel ! Keir était vivant, tout comme moi.
Rassérénée par cette certitude, je finis par me rappeler que nous n’étions pas seuls. Réprimant mes pleurs, je tentai de reprendre le contrôle de mes émotions. Depuis l’abri rassurant des bras de Keir, je levai la tête pour observer ce qui se passait autour de nous.
Rafe et Prest s’étaient postés devant Keir et moi et montaient la garde. Dans notre dos, Ander et Yveni faisaient de même, tournés vers l’entrée. Tous, à des degrés divers, portaient les traces de combats acharnés. Mais chacun d’eux avait une arme au clair et, à leur mine ombrageuse, il était évident qu’il valait mieux ne pas chercher à nous approcher. Prest brandissait une épée, ce qui me surprit. Où était passée la masse d’armes d’Epor ?
Simus nous tournait le dos. Devant Rafe et Prest, il faisait face aux Anciens et aux Vénérables, fermement campé sur ses jambes, les bras croisés sur sa poitrine. Dans un silence de tombe, tous nous observaient.
Remarquant Joden sur le côté, le visage douloureux et la mine défaite, je demandai tout bas à Keir :
— Qui a survécu ?
Son souffle chaud au creux de mon oreille me fit frissonner quand il répondit :
— Tous ceux que tu vois là. Et aussi…
Il fut interrompu par un nouveau remue-ménage à l’entrée. Des guerriers armés en poussaient un autre devant eux, entravé. Immédiatement, nos gardes du corps se mirent en position de défense, de même que Simus, qui dégaina son épée. L’escorte du prisonnier contourna les fosses à feu, et l’homme fut jeté à terre, aux pieds d’Essa. Il avait les mains liées dans le dos. L’un des guerriers qui l’avaient amené lui empoigna les cheveux et lui releva la tête sans ménagement.
Avec un coup au cœur, je reconnus Iften.
Torse nu, déchaussé, il n’était plus en mesure de fanfaronner. On lui avait ôté également les protège-bras en cuir qui lui servaient d’attelles, et même à cette distance, je pouvais distinguer l’aspect déjeté de son avant-bras et la courbure en serres d’aigle de ses doigts.
Derrière nous, un nouveau brouhaha s’éleva. Dès qu’ils eurent reconnu Reness qui faisait son entrée, nos gardes se détendirent.
— Elle est vivante ? demanda-t-elle à Essa en rejoignant sa place. Vous l’avez retrouvée ?
D’un geste du bras, le Vénérable Barde nous désigna, Keir et moi.
— Pas tout à fait, corrigea-t-il. C’est elle qui nous a retrouvés.
Reness se tourna vers nous, le visage illuminé par un grand sourire.
— Captive ! s’exclama-t-elle. Les Cieux en soient loués, vous avez survécu à cette folie…
À ces mots, Iften tourna vivement la tête. Par-dessus son épaule, il m’adressa un regard chargé de haine. Son visage ensanglanté était tordu par la fureur. Ses lèvres arboraient un rictus mauvais. Je fis de mon mieux pour soutenir son regard sans ciller, mais je ne pus réprimer un frisson. En me serrant plus fort entre ses bras, Keir gronda sourdement.
— Joignez-vous à nous, Vénérable Thea, reprit Essa en désignant le siège voisin du sien. Ce senel a pour objet de déterminer le sort de ce guerrier.
Une moue méprisante se dessina sur les lèvres de Reness, qui lança en s’asseyant :
— Un véritable guerrier ne se rend pas !
Iften, piqué au vif, redressa le menton et s’écria :
— Je voulais faire entendre mes vérités !
Essa se leva, vacillant sur ses jambes, le visage blême. Soit il souffrait énormément, soit la colère l’égarait, mais il ne paraissait pas du tout dans son assiette. D’ailleurs, à bien y regarder, Vents Sauvages n’avait pas l’air plus vaillant.
Essa interpella Iften sans aménité.
— Tu veux faire entendre tes vérités parce que vous n’avez pas pu nous les imposer, toi et tes complices !
— Le danger qu’elle représente est trop grand, répliqua-t-il. Nous devions vous faire comprendre…
— Nous faire comprendre ? coupa Vents Sauvages d’une voix tranchante. Ou nous forcer à comprendre ? Vos vérités ont été entendues et prises en compte. Tous les débats nécessaires ont eu lieu. Mais Antas a préféré prendre les armes plutôt que de laisser ce Conseil trancher la question.
Essa reprit la parole.
— Je ne sais pas comment Antas est parvenu à entraîner tant de monde dans la sédition et à trahir ce Conseil et les Tribus. Mais tous ceux qui ont voulu imposer leurs idées par la force sont morts ou ont fui le Cœur des Plaines.
— Sauf le lâche qui a préféré jeter son épée ! intervint Simus d’un ton caustique.
Les regards courroucés des Vénérables convergèrent sur lui. Vents Sauvages fut le premier à réagir.
— De quel droit te permets-tu de…
Simus l’interrompit d’un grand rire.
— Je ne vois aucun Vénérable Guerrier parmi vous, fit-il remarquer avec malice. Alors, la voix d’un guerrier des Tribus peut bien se faire entendre, non ?
Avec un grand sourire, il ouvrit les bras en un geste de bonne volonté et conclut :
— Mes vérités sont les vôtres, Vénérables.
Keir émit un grognement dubitatif mais n’intervint pas dans le débat. Levant les yeux vers lui, je vis qu’il regardait Iften et lui seul.
Celui-ci se redressa et se mit à genoux, grimaçant quand ses liens tirèrent dans son dos sur son bras blessé.
— Vous verrez ! lança-t-il d’un ton vindicatif. Elle nous amènera le désastre et la mort ! Keir est fou ou inconscient d’imposer une citadine parmi nous. Son propre peuple ne veut plus d’elle. Les Xyians n’étaient que trop heureux de pouvoir s’en débarrasser ! Punissez-moi si vous voulez, mais cela ne changera rien à la vérité !
Essa s’avança vers lui et le foudroya du regard avant d’expliquer d’une voix posée :
— Je vais te préciser une ou deux choses, Iften du Cochon, car il semble que ton esprit égaré ait perdu de vue quelques vérités fondamentales de notre peuple. Si tu dois être châtié, ce n’est pas parce que tu t’opposes à la confirmation de la Captive.
En prenant lourdement appui sur son bâton, ce qui fit cliqueter les crânes au bout de leurs lacets, Vents Sauvages se redressa à son tour et enchaîna :
— Non, Iften du Cochon. Si tu comparais devant nous aujourd’hui, c’est pour avoir tenté de réduire ce Conseil au silence afin d’imposer ta loi.
Reness se leva elle aussi et conclut :
— Nous, peuple des plaines et membres des Tribus, sommes unis car c’est la seule façon de survivre dans la Grande Prairie. Pourtant, tu n’as pas hésité à utiliser la violence, et non la sagesse ou la persuasion, pour imposer tes vues. Tel est ton crime, Iften de la Tribu du Cochon, guerrier de la Grande Prairie. Et pour cette raison, je fais de toi un Banni.
Essa hocha la tête et croisa les bras avant d’ajouter :
— Moi aussi, je fais de toi un Banni.
Le visage de Vents Sauvages était empreint d’une farouche détermination quand il répéta :
— Moi aussi ! lança-t-il. Moi aussi, je fais de toi un Banni.
Iften avait brusquement pâli.
— Non, je…
Il dut déglutir longuement avant de pouvoir ajouter :
— Vous, prêtres guerriers, avez plus à perdre que les autres si ces tares xyianes sont introduites dans les plaines.
— Crois-tu ? répliqua Vents Sauvages.
Essa se tourna pour faire face aux Anciens.
— Qu’en dit le Conseil ? Iften du Cochon, guerrier de la Grande Prairie, doit-il être chassé de sa Tribu et du peuple des plaines ?
Reness et Vents Sauvages se rassirent. Tous les Anciens, sans exception, demeurèrent sur leur siège.
Avec un hochement de tête satisfait, Essa reprit :
— Pour cette cérémonie, un Vénérable représentant les guerriers est requis. Antas devra répondre de ses actes devant ce Conseil. Le temps nous manque pour désigner dans les formes un nouveau Vénérable. Je propose donc que Nires du Cochon, guerrier de la Grande Prairie, Ancien de la Tribu du Cochon, rejoigne les Vénérables pour le temps de ce senel. Quelqu’un s’y oppose-t-il ?
Tous les Anciens se levèrent.
Un homme descendit du dernier des gradins et vint s’asseoir à côté de Reness.
— Je remercie le Conseil de l’honneur qui m’est fait, Vénérable Barde.
Essa s’inclina devant lui avant d’en revenir à Iften.
— Iften du Cochon, guerrier de la Grande Prairie, le Conseil des Anciens fait de toi un Banni.
Après avoir pris une profonde inspiration, il ajouta :
— Puissent les Cieux te priver de souffle !
La mine défaite, Iften, tassé sur lui-même, dévisageait ses juges avec terreur.
Vents Sauvages enchaîna :
— Iften du Cochon, le Conseil des Anciens fait de toi un Banni. Puisse la Terre se dérober sous tes pieds !
Reness prit le relais.
— Iften, le Conseil des Anciens fait de toi un Banni. Puisse le Feu te refuser sa chaleur et brûler ta peau !
Nires se leva et conclut :
— Le Conseil des Anciens fait de toi un Banni sans Tribu. Puisse l’Eau elle-même refuser d’étancher ta soif !
Avec un geste de la main à l’intention des deux gardes qui flanquaient Iften, Reness ordonna :
— Abandonnez-le à une demi-journée de cheval au cœur de la Grande Prairie, sans arme, sans ami pour lui tendre la main et sans nom pour se faire appeler. Les Éléments disposeront de lui, pour en faire ce qui leur plaît.
Rapidement, les gardes empoignèrent Iften, qui se laissa entraîner sans protester, mais sans nous quitter du regard, Keir et moi. Un frisson me parcourut, et je me blottis plus étroitement contre mon Seigneur de Guerre. D’une certaine manière, la haine silencieuse d’Iften était plus inquiétante que ses menaces verbales. Sans doute ne saurais-je jamais la vérité à propos de la mort de Gils. Mais, au fond de moi, j’avais la certitude que c’était lui qui l’avait tué.
Essa suivit Iften des yeux jusqu’à la sortie, puis il poussa un profond soupir.
— Ce problème réglé, dit-il avec lassitude, il nous reste à trancher la question qui nous occupait avant… l’interruption des débats. Devons-nous confirmer Xylara, Fille du Sang de la Maison de Xy, en tant que Captive de la Grande Prairie ?
— Peut-il encore y avoir un doute ? intervint Simus.
Vents Sauvages se dressa sur ses jambes, excédé.
— Ce n’est pas à toi d’en décider, guerrier ! lui lança-t-il. Et rangez ces armes, toi et tes amis ! Tout danger est écarté et la violence n’a plus sa place ici.
Simus se figea sur place. Un instant, il soutint le regard impérieux que le Vénérable Prêtre Guerrier lui lançait. Puis, lentement, il tourna la tête vers Keir et l’interrogea du regard. En les voyant hésiter, je compris que l’arrestation et le bannissement d’Iften n’avaient pas suffi à les rassurer.
Finalement, Keir eut un bref hochement de tête et Simus rengaina son épée. Puis, se campant fermement sur ses jambes, il croisa les bras de manière à indiquer clairement que rien ni personne ne le ferait bouger.
Le visage blafard et les traits tirés, Essa reprit la parole.
— Les vérités de Joden de l’Aigle ont été interrompues par les événements. Barde en devenir, as-tu quelque chose à ajouter ?
Joden s’avança et s’inclina devant le Conseil.
— Vénérables, dit-il, je ne peux que répéter ce que j’ai déclaré précédemment. Nul ne peut prédire si les changements apportés par Xylara seront bénéfiques ou néfastes, mais cela n’enlève rien au fait qu’elle est une véritable Captive de la Grande Prairie. De plus, que les morts se soient montrés à elle semble indiquer que les Éléments eux-mêmes lui sont favorables.
Les yeux écarquillés par la surprise, Reness leva la tête pour dévisager Vents Sauvages.
— Les morts lui sont venus en aide et vous doutez encore ?
Le Vénérable Prêtre Guerrier secoua la tête d’un air découragé.
— Je ne sais plus, avoua-t-il en chancelant. Je ne sais que penser de tout cela.
— Alors, asseyez-vous avant que vos jambes ne vous lâchent ! ordonna sèchement Reness. Tous les deux ! Ou n’avez-vous aucune fierté ?
Essa et Vents Sauvages la foudroyèrent du regard, mais tous deux regagnèrent leur siège, sur lequel ils se rassirent en grimaçant.
En les voyant faire, je chuchotai à Keir :
— Ils sont blessés.
Son regard se porta brièvement sur eux et il grogna un vague assentiment.
— Je pourrais…
— Seulement s’ils viennent t’en supplier, coupa-t-il en resserrant l’étreinte de ses bras autour de moi.
— Finissons-en ! suggéra la Vénérable Thea.
Elle se leva à son tour pour faire face aux Anciens, tous debout sur leurs gradins, et déclara fermement :
— L’heure est venue de prendre une décision. Plus de parlotes ! Plus de débats ! Tout a été dit. Toutes les informations disponibles sont à votre disposition. Ce Conseil confirme-t-il Xylara, Fille du Sang de la Maison de Xy, en tant que Captive de la Grande Prairie ?
Il y eut un moment de flottement, avant que, dans un grand bruissement, l’intégralité du Conseil ne se rasseye. Ni Essa ni Vents Sauvages ne se levèrent.
— Voilà qui est fait, commenta Reness, satisfaite.
Avec un sourire bienveillant, elle ajouta en se tournant vers nous :
— Il ne reste que la cérémonie de confirmation à préparer. Cela devrait prendre une journée.
— Il faudrait les séparer jusque-là, intervint Vents Sauvages. Xylara n’a pas encore fait son choix et…
J’entendis la lame de Keir racler son fourreau en même temps que je laissais jaillir mon poignard de ma manche.
— Plus jamais ! m’écriai-je en le brandissant devant moi. Vous ne nous séparerez plus jamais !
— Je tuerai celui qui essaiera, ajouta Keir.
L’expression farouche de son visage prouvait qu’il ne plaisantait pas.
Un grand silence se fit dans l’assemblée. Simus y mit un terme en éclatant de rire.
— Essayez donc de les séparer ! s’exclama-t-il. À vos risques et périls…
Essa secoua la tête d’un air indigné.
— Cela n’est pas…
Vents Sauvages l’interrompit avec un rire désabusé.
— Après tout, quelle importance ? fit-il. Nous avons perdu assez de temps comme ça.
Avec une difficulté manifeste, il se leva et descendit de la plate-forme.
— Déclarez ce senel clos, Vénérable Barde, poursuivit-il d’une voix lasse. Et laissez-nous retrouver nos tentes et nos lits.
Simus s’éclaircit la voix.
— Je me porte volontaire pour assurer la sécurité de la Captive jusqu’à la cérémonie, annonça-t-il. Avec les guerriers de Keir du Tigre, nous donnerons nos vies pour la protéger s’il le faut.
Joden prit la parole, attirant tous les regards sur lui.
— Je me porte également volontaire.
Keir se leva sans me faire quitter l’abri de ses bras. Les jambes tremblantes, je me levai avec lui.
— Tu seras le bienvenu, Joden de l’Aigle, affirma-t-il en passant un bras autour de ma taille pour me soutenir.
— Ce senel est terminé ! lança Essa en se levant. Pour cette session et pour la saison. Le sort d’Antas sera discuté au retour du printemps.
Puis, s’adressant à Keir, il ajouta :
— On vous communiquera les détails de la cérémonie. Où sera-t-il possible de vous trouver ?
Keir n’hésita qu’un bref instant.
— Dans la tente de la Captive.
Je le dévisageai avec surprise. En dépit de la normalité qui semblait revenir, il restait manifestement tendu et sur ses gardes. Après avoir soutenu quelques instants son regard, Essa donna son accord d’un signe de tête.
D’un mouvement souple et sans effort apparent, Keir me souleva dans ses bras et marcha en direction de la sortie. Avec un soupir de bien-être, je posai ma tête sur son épaule. J’avais l’impression que mon crâne allait exploser. Mes yeux et mon nez étaient congestionnés d’avoir trop pleuré. Des bandages qui avaient protégé mes mains, il ne restait que des lambeaux. Ma tunique était sale et déchirée par endroits. Quant à mes cheveux, je n’osais imaginer l’état dans lequel ils devaient se trouver.
Mais, juste sous mon oreille, j’entendais le pouls de Keir, ferme et régulier. Ses bras me serraient avec force contre lui. Sa cotte de mailles allait sans doute laisser une empreinte sur ma joue, mais je n’en avais cure. Jamais, de toute mon existence, je n’avais été aussi heureuse.
Aussitôt franchie la porte du chapiteau, je frissonnai sous la morsure du froid. Le soleil avait disparu à l’horizon et les premières étoiles apparaissaient dans le ciel. À chaque pas, je sentais jouer contre moi les muscles du corps de Keir en mouvement. Fermant les yeux, j’adressai une brève prière à la Déesse.
Dame de la Lune et des Étoiles, merci de m’avoir rendu mon aimé, vivant et en pleine santé ! Jamais plus je ne considérerai comme acquise sa présence près de moi. Chaque jour sera pour moi un précieux cadeau, et chaque nuit une prière d’action de grâces.
— La tente de la Captive constitue un choix judicieux, commenta Simus, qui marchait à côté de nous. Le terrain tout autour est dégagé. Il sera facile à surveiller.
Sans lui répondre, Keir ordonna :
— Yveni ? Ander ? Allez chercher Marcus et les autres et dites-leur de nous rejoindre là-bas. Faites vite mais soyez prudents.
J’ouvris les yeux, alertée par la tension dans sa voix. À part Ander et Yveni qui disparaissaient entre les tentes pour remplir leur mission, tous les autres s’étaient déployés autour de nous. L’arme au clair, ils restaient vigilants.
— Une attaque est toujours à craindre ? m’étonnai-je.
Ce fut Joden qui me répondit.
— Antas et ses partisans se sont enfuis.
Les bras de Keir se resserrèrent un peu plus autour de moi.
— C’est encore loin ? demanda-t-il à Simus.
— Non, répondit-il. Nous y sommes presque.
Effectivement, nous fûmes bientôt arrivés à ma tente. Rafe et Prest y pénétrèrent en premier, pour s’assurer qu’il n’y avait rien à craindre. Dès qu’ils revinrent, Simus retint la porte de toile et Keir baissa la tête pour me faire franchir le seuil dans ses bras.
Dans la tente abandonnée, il faisait sombre et froid. Rafe et Prest s’étaient mis en faction devant l’entrée. Avec un luxe de précautions, Keir me déposa sur un des tabourets de l’aire de réception. Puis, dans un grand geste, il ôta sa cape et la déposa sur mes épaules. Le vêtement conservait sa chaleur. Frileusement, j’en resserrai les pans autour de moi. Accroupi devant moi, Keir me dévorait des yeux, une expression d’émerveillement incrédule sur le visage.
— J’ai cru devenir fou, murmura-t-il. J’étais persuadé de t’avoir perdue.
— Je suis là, maintenant, répondis-je en lui caressant la joue. Et je vais bien.
Joden tisonnait un brasero pour y chercher des braises.
— Personne n’a entretenu le feu, constata-t-il.
Cela suffit à attirer mon attention. Qu’était devenue Amyu ? Était-elle…
— Qu’est-il arrivé ? demandai-je à Keir d’un ton pressant. Après mon départ, que s’est-il passé ?
— C’est plutôt à toi de nous dire ce qui t’est arrivé ! protesta Simus en prenant un siège face à moi. Voilà ce que nous voulons entendre…
Un bruit de pas précipités, à l’extérieur, m’empêcha de lui répondre. Se dressant d’un bond, Keir dégaina son épée. Joden et Simus firent de même. Puis Rafe souleva la porte de toile, et Marcus, Atira et Heath pénétrèrent dans la tente, suivis de près par Amyu.
— Lara !
La joie de Marcus faisait plaisir à voir. Je bondis de mon siège et lui sautai au cou. Ses bras longs et secs se refermèrent autour de moi et nous nous étreignîmes longuement.
— Marcus ! Tu m’as tellement manqué !
Je m’écartai légèrement de lui et fixai son œil unique avant d’ajouter :
— Comment vas-tu ?
— Beaucoup mieux à présent que vous êtes de retour.
Puis il s’éloigna vivement de moi et examina les lieux.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? maugréa-t-il. Une tente froide ? Mais ça ne va pas ! Pas du tout !
Sans doute ne cherchait-il ainsi qu’à contenir les larmes qu’il avait été, j’en étais certaine, sur le point de verser. Puis, s’adressant à Keir, il ajouta :
— Évidemment, il vous était difficile de la conduire à la vôtre…
— Pourquoi ? m’étonnai-je.
— Depuis que nous sommes arrivés, répondit Simus, Keir n’a pas pris le temps de la faire monter, trop occupé qu’il était à chercher des soutiens et à veiller à ta protection à distance.
— J’avais autre chose en tête ! gronda Keir.
— Et après ce qui s’est passé au Conseil, m’expliqua Amyu, le Seigneur de Guerre n’a pas voulu que je revienne ici. Pour avoir désobéi à un ordre d’un Ancien de ma Tribu, je risque la mort.
— Amyu…
J’allai la serrer entre mes bras. D’abord un peu raide, elle se laissa finalement aller et me rendit mon étreinte.
— Merci, lui dis-je. Merci de m’avoir épargnée, Amyu.
— Moi aussi, je te dois des remerciements pour cela, intervint Keir.
Amyu inclina la tête vers lui.
— Même une enfant peut avoir à cœur de s’acquitter de sa dette, Seigneur de Guerre.
— Et quelle dette ! s’écria Rafe, une drôle d’expression sur le visage. Il fallait le voir pour le croire… La Captive a ouvert le ventre d’Eace et y a plongé ses mains pour en extraire ses deux enfants !
Sa voix était admirative, mais ce souvenir semblait lui donner la nausée.
— Voilà une vérité que j’aimerais entendre, murmura Joden.
Mais déjà, mon attention était sollicitée par le reste des nouveaux venus.
— Atira ! Heath !
Après avoir embrassé la première, je me jetai dans les bras du second. Un détail m’incita à le repousser légèrement pour l’examiner de plus près.
— Heath ! m’exclamai-je. Ton œil… Qu’est-il arrivé ?
Son œil gauche, poché, était presque totalement fermé.
— Rien de grave, Lara, me répondit-il.
Avec un sourire gêné, il reporta son attention sur Atira, qui le dévisageait durement.
— La prochaine fois, maugréa-t-elle, tu y réfléchiras à deux fois avant de t’interposer entre une guerrière de la Grande Prairie et son ennemi !
— Oh oh ! railla Simus. Voilà une vérité croustillante qui ne demande qu’à être dite…
— Plus tard ! s’impatienta Marcus. D’abord, du feu dans les braseros. Ensuite, kavage et nourriture. Nous aurons tout le temps de faire la causette après. La tente est petite, elle devrait chauffer rapidement.
— Je vais chercher du bois, annonça Joden.
— Reness doit avoir un ragoût sur le feu, ajouta Amyu. Je vais aller lui en demander.
Bien que mécontent, Simus se leva et maugréa :
— Je m’occupe du feu.
— Je sais que je n’ai plus le droit de vous ordonner quoi que ce soit… commença Keir, à mon grand étonnement.
Rafe ne le laissa pas poursuivre.
— Vous êtes toujours notre chef, Keir du Tigre. Peu m’importe les décisions du Conseil. Commandez, et j’obéirai. Ce qui a été perdu pourra être reconquis.
Tous les autres acquiescèrent en hochant la tête.
— Tu vois ? fit Simus en adressant un clin d’œil à Keir. Je te l’avais bien dit.
Un certain soulagement se peignit sur le visage de Keir.
— Je vous remercie tous, dit-il en redressant les épaules. Rafe et Prest, vous monterez la garde devant la tente. Ander et Yveni, même chose à l’arrière.
Remarquant leurs mines déconfites, il ajouta :
— Du moins, tant que l’heure n’est pas venue d’écouter les vérités des uns et des autres. D’accord ?
— Je pourrais demander à mes compagnes de tente de nous aider, Seigneur de Guerre, suggéra Rafe.
Keir fit la grimace.
— Je ne suis plus Seigneur de Guerre, Rafe.
— Vous l’êtes toujours, protesta Prest d’une voix neutre. Pour nous.
Les yeux brillants, Keir hocha la tête et tous se dispersèrent pour se mettre au travail.
Je voulus me lever également, mais les mains de Keir sur mes épaules m’en empêchèrent. Accroupi devant moi, il me dévisagea avec intensité, comme s’il n’arrivait toujours pas à en croire ses yeux.
— Lara… commença-t-il d’une voix blanche. Tu vas devoir t’habituer à ce que je te regarde. Je… je n’arriverai sans doute pas à te quitter des yeux avant longtemps.
Glissant les bras autour de lui, je l’enlaçai et posai ma joue sur son épaule.
— Ne t’inquiète pas, Seigneur de Guerre, murmurai-je. J’en ai autant à ton service.
Marcus ne s’était pas trompé. Dès que les braseros eurent été allumés, la tente se réchauffa rapidement. Amyu revint avec une marmite de ragoût et un panier de petits pains plats.
Après avoir mis le kavage sur le feu, Marcus invita les gardes à nous rejoindre. Même si les « compagnes » de Rafe avaient accepté de se poster autour de la tente pour assurer notre sécurité, il s’installa avec Prest près de la porte relevée. Et tout en participant au repas, tous deux ne relâchèrent pas leur vigilance.
J’étais parvenue à convaincre Keir de rengainer son épée et de s’asseoir sur un tabouret près de moi. Nous étions si proches que je pouvais sentir son souffle sur ma joue dès que je tournais la tête. Boudant le bol de ragoût que Marcus lui avait fourré de force entre les mains, il se contentait d’avaler kavage sur kavage.
À ma demande, Amyu avait allumé la lampe de chevet en terre cuite, dans la chambre. Par les tentures entrouvertes, je pouvais apercevoir sa petite flamme dansante et cette présence chaleureuse m’apaisait.
Les coudes posés sur les genoux, Simus me dévisageait avec une curiosité non déguisée.
— Raconte ! s’exclama-t-il. Dis-nous ce qui t’est arrivé.
Je m’exécutai bien volontiers, entrecoupant mon récit de pauses pour siroter mon kavage. Quand je me tus, Simus secoua la tête d’un air ébahi et se tourna vers Joden.
— Tu avais déjà entendu une chose pareille ? demanda-t-il.
— Non, répondit celui-ci en secouant la tête. Il circule des histoires à propos de morts qui seraient apparus aux vivants, mais jamais autant à la fois, jamais aussi longuement, et jamais non plus à quelqu’un qui n’est pas né dans la Grande Prairie.
— J’étais persuadé d’avoir causé ta mort, expliqua Keir. J’avais prévu que ton cheval irait rejoindre les troupeaux, mais jamais je n’aurais pu imaginer qu’il t’emmènerait si loin.
— Ce qui lui a sauvé la vie, précisa Simus, étant donné qu’Antas et sa clique ont réussi à nous déborder pour se lancer à sa poursuite.
Keir émit un grognement dubitatif.
— Certes, admit-il. Mais pourquoi si loin ? Pourquoi l’avoir conduite jusqu’aux troupeaux de gurtles de la tribu du Serpent ?
— Seuls les morts pourraient le dire, répondis-je d’une voix lointaine. Ce sont eux qui ont voulu cela. Grandcœur s’est lancé au galop, mais c’est sous l’impulsion de Gils, d’Epor et d’Isdra qu’il a continué.
Le cœur serré, je m’empressai d’ajouter :
— Sans oublier Keekaï.
Un silence respectueux tomba sur notre assemblée. Je réprimai un sanglot et murmurai :
— Elle a tant fait pour moi, pour nous… Et jusque dans la mort.
Keir passa un bras autour de mes épaules et me serra contre lui.
— C’est parce qu’elle croyait en nous, dit-il. Elle est morte pour te protéger. Il a fallu trois guerriers pour la terrasser. Et encore, elle s’est arrangée pour entraîner l’un d’eux dans la mort. Une fin glorieuse.
— Qui mérite d’être chantée, assura Joden doucement.
Je hochai la tête avec tristesse, puis fis courir mon regard sur le cercle de visages amicaux qui m’entouraient. Le sacrifice des morts me rendait plus chère encore l’affection des vivants.
— J’aurais aimé que Keekaï soit parmi nous, dis-je, mais je suis si heureuse que vous ayez tous survécu !
Puis je m’adressai à Prest :
— Au fait ! Qu’est devenue la masse d’armes d’Epor ?
— Cassée, me répondit-il avec une fierté manifeste. Sur la tête de Graine de Tempête.
— Il est tombé comme une pierre, expliqua Rafe. Et il ne s’est jamais relevé. Sous le choc, la masse s’est brisée en deux par le milieu.
Assis près de lui, Joden arborait une expression absente, comme s’il jouait aux échecs dans sa tête, ou comme s’il composait un chant.
À présent, c’était à moi de faire preuve d’impatience.
— Et ici ? demandai-je en me penchant en avant. Que s’est-il passé après mon départ ?
Reposant son bol vide sur la table, Simus se pourlécha les babines.
— Après que Keir t’a éloignée du cœur des combats, expliqua-t-il, il nous a été plus facile de lutter contre nos ennemis.
Semblant sortir de son état second, Joden me considéra gravement et précisa :
— Je savais qu’Iften et Antas comptaient sur mon soutien devant le Conseil. Et je m’apprêtais à témoigner contre vous, Lara. Mais c’est en entendant Simus…
Je l’interrompis en citant de mémoire :
— « L’amour entre un Seigneur de Guerre et sa Captive est plus brûlant qu’un jour d’été. »
Embarrassé, Joden baissa les yeux et hocha la tête.
— J’ignorais qu’ils avaient prévu de recourir à la force, reprit-il. Quand Antas a ordonné à Amyu de vous tuer, j’en suis resté anéanti.
— Mais pas au point de ne pas bondir pour nous prêter main-forte, intervint Keir.
Joden haussa les épaules.
— Je ne partage peut-être pas toutes vos idées, Seigneur de Guerre, mais je ne laisserai personne vous empêcher de les exprimer.
— Heureusement, ajouta Keir, il y a eu suffisamment d’Anciens pour penser la même chose et tirer leur épée afin de nous soutenir. Sans cela, l’issue de la bataille aurait pu ne pas être la même.
Pendant que Marcus remplissait nos timbales de kavage, je demandai :
— Antas a donc réussi à s’enfuir ?
— Essa a failli le mettre hors d’état de nuire, expliqua Simus, admiratif. Mais Antas a réussi à retourner la situation. Je ne le pensais pas si bon guerrier. Graine de Tempête, lui, s’est précipité sur Vents Sauvages, qui a été pris par surprise. Si Keekaï n’avait pas été là pour venir à sa rescousse, le Vénérable Prêtre Guerrier aurait succombé.
— Des prêtres guerriers qui se battent entre eux, commenta Yveni. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?
— J’aimerais le savoir, répondit Joden.
— Une ruse de la part de Vents Sauvages, peut-être ? suggéra Keir. Pour ne pas se compromettre en cas d’échec de la manœuvre ?
Simus secoua catégoriquement la tête.
— Non, dit-il. Sa surprise n’était pas feinte. Il avait vraiment l’air d’un homme dépassé par les événements. Heureusement que Keekaï était là pour éloigner de lui Graine de Tempête.
— C’est ainsi, expliqua Prest, tout sourire, qu’il est tombé nez à nez avec moi.
— Et c’est en voyant que Graine de Tempête était mort, poursuivit Joden, qu’Antas a battu le rappel de ses hommes pour sortir en force du chapiteau et prendre la fuite.
La discussion se poursuivit. Dans la chaleur de la tente, je sentais mes membres s’engourdir et commençais à tomber de sommeil. Il fut question d’autres guerriers, que je ne connaissais pas, et de leurs hauts faits d’armes. Puis vint un moment où je n’y compris plus rien – ce qui ne m’empêchait pas de sourire. J’étais heureuse, entourée de mes amis, saine et sauve, au chaud et le ventre plein, avec mon Seigneur de Guerre près de moi.
Si bien que je ne me rendis pas compte que j’étais de nouveau le centre de l’attention collective. Marcus se tenait devant moi et me dévisageait sévèrement. Sans doute venait-il de me poser une question qui m’avait totalement échappé.
— Assez ! décréta-t-il. Elle est épuisée et nous allons l’achever avec tous nos bavardages.
Inquiet, Keir me dévisagea en fronçant les sourcils.
— Lara ?
Marcus se mit à virevolter dans la tente en battant des mains.
— Dehors, tous autant que vous êtes ! s’écria-t-il. J’ai une Captive et un Seigneur de Guerre à mettre au lit !
Keir émit un grognement de mécontentement et ouvrit la bouche pour protester, mais Marcus le devança.
— Un Seigneur de Guerre qui n’a pas dormi depuis des jours ! Et qui, pour ce que j’en sais, n’a pas mangé non plus.
Simus se leva et s’étira longuement.
— Je dormirai dehors, devant l’entrée. Vous pouvez vous répartir les tours de garde, vous autres ?
Se levant à son tour, Rafe se rendit jusqu’au brasero.
— Il reste du kavage sur le feu, constata-t-il. Cela devrait nous suffire, à Prest et à moi, pour tenir jusqu’à l’aube.
Ander, qui se préparait à quitter la tente avec Yveni, lança par-dessus son épaule :
— Ensuite, nous prendrons le relais.
— Apparemment, nous n’avons pas notre mot à dire, commentai-je en glissant à Keir un coup d’œil amusé.
Il ne se dérida pas et soutint mon regard en silence, sans cesser de me dévisager d’un air soucieux.
Après m’être levée, je lui tendis la main pour l’inciter à faire de même.
— Un peu d’eau chaude, Captive ? demanda Marcus, qui nous observait à la dérobée.
— Ce serait merveilleux, répondis-je en hochant la tête.
Sans lâcher la main de Keir, je l’entraînai en direction de la chambre. Souplement, il me souleva dans ses bras.
— Keir ! protestai-je. Ce n’est qu’à deux pas !
Il franchit ces deux pas et lança à Marcus, avant de se retourner, un regard que celui-ci comprit immédiatement. D’un geste sec, il vint refermer les tentures qui condamnaient l’entrée de la chambre. Enfin, nous nous retrouvions seuls, Keir et moi.
Doucement, il me reposa sur mes pieds. Les mains posées sur sa poitrine, je plongeai le regard dans ses yeux cernés et las.
— Keir…
Il me prit dans ses bras et me fit taire d’un baiser.